Note(s) d’intention

Ecrire, c’est poser des notes sur une feuille blanche. Composer une mélodie, développer autour de thèmes connus ou nouveaux, chercher le ton juste, proposer son rythme, éveiller des émotions, suggérer des choses tout en laissant la place à la sensibilité des autres. Dans mon métier, j’ai tendance à rappeler que pour écrire juste, quel que soit le sujet, il faut penser à comment on voudrait dire les choses aux gens qu’on aime. Sur le fond, comme sur la forme. Ce que j’aime partager avec les gens que j’aime, c’est de la musique, des voyages, des images, photos ou bandes dessinées. C’est donc ce que je mets dans mes textes.

Penser avec ses pieds, écrire avec ses oreilles

Chacun à ses routines d’écriture. J’en ai plusieurs, mais celles dont je ne pourrais me priver, c’est de marcher pour penser/réfléchir, et d’écouter de la musique pour écrire. Dans les deux cas, il est question de rythme, d’évasion et d’observation.

Il y a quelques années, Frédéric Gros avait décrit dans un très beau livre –Marcher, une philosophie- tout ce que la marche peut représenter dans la construction d’une pensée, en croisant sa propre expérience de marcheur, et sa lecture d’autres marcheurs : Rimbaud, Nietzsche, Thoreau, … Chacun marche à sa manière, à son rythme, vers des horizons différents. C’est pareil pour l’écriture.

Je dois l’avouer, je ne suis pas une plume très littéraire. Quand je cherche un concept, je pense socio. Quand je cherche une image, je pense BD. Quand je cherche un angle, je pense photo. Et quand je cherche un rythme, je pense musique.

Pas seulement quand je cherche un rythme, d’ailleurs. Mon rapport à la citation, à l’intro, aux transitions, au choix des mots, doit beaucoup au jazz et au hip hop.

Par exemple, si je devais expliquer en 3 minutes comment bien choisir et utiliser une citation, je ferais écouter Una rosa blanca, d’Ibrahim Maalouf : un extrait d’un discours de Barack Obama, citant lui-même un poème cubain, y sert de transition entre un morceau «sage » et sa déclinaison latino. Si je devais expliquer comment travailler sur les mots et les thèmes pour emmener son auditeur d’un sujet à un autre, je mettrais Demain c’est loin, d’IAM, ou A love Supreme.

Si je devais expliquer pourquoi reprendre un thème déjà vu 100 fois n’est pas forcément se condamner à répéter, je ferais écouter n’importe quelle reprise de Nina Simone (qui en a fait de très belles, et pas que Ne me quitte pas), de Rosemary Stanley (qui en a fait des dizaines) ou de Musica Nuda (qui ne font que ça, et avec génie). Si je devais expliquer comment varier les rythmes sans jamais perdre son souffle, je ferais écouter Mos Def. Si je devais expliquer comment lâcher son sujet pour aller chercher l’émotion pure, je ferais écouter un morceau d’Airelle Besson, ou de Keith Jarett.

Depuis que j’ai fait de ma plume mon métier, j’ai rassemblé quelques dizaines de morceaux, qui forment ma bulle d’écriture. On y trouve du jazz et du hip hop, du classique et de l’électro, des standards et des trouvailles improbables. Je les écoute en désordre, au gré du hasard ou au fil des envies. Ils m’aident à trouver le rythme de certaines phrases, à apporter des nuances, des émotions ou des colères, à accentuer tel ou tel point, à varier les angles et les mots.

Je pense, j’espère, qu’au moins un peu de cette musique dans ma tête se lit ou s’entend dans mes textes.

Le discours comme exercice de (free) style

Bien sûr, quand on écrit un texte, la première chose qu’on cherche, ce n’est pas le style, c’est le sens. Mais quand on fait ça de manière un peu régulière, et sur des sujets un peu variés, on ne peut pas s’empêcher de chercher à s’amuser. Comme les sujets ne permettent pas toujours de s’amuser sur le sens, on s’amuse sur le style. On improvise un peu, on tourne autour du motif, on joue sur les mots, leur son, leurs sens.

On ne s’amuse pas seul, en particulier quand le texte doit être lu par un autre. On le fait en lien avec son orateur, à qui ce rythme, ces mots, doivent correspondre. Un orateur dont il faut anticiper la voix et la présence, pour imaginer ce que rendra oncrètement, une fois prononcé, ce qu’on lui aura proposé -attention à l’egotrip stylistique. Si vous doutez de ce qu’un même texte peut donner avec deux orateurs différents, amusez-vous à réécouter Diego libre dans sa tête, d’abord la version chantée par Michel Berger, puis celle chantée par Johnny Haliday : deux salles, deux ambiances (#TeamMichelBerger).

Pour un discours, il est donc indispensable de partir du style de parole de l’orateur, de sa diction, de sa manière d’enchaîner les phrases, de sa capacité à mettre du rythme et/ou à tenir sur la longueur Il faut donc l’avoir écouté au préalable dans des conditions de discours, ou a minima le faire parler un peu, sur quelques phrases écrites, pour connaître son rythme.

« Divertir un public qui ne me connaît pas » (San, Orelsan)

A partir de ce rythme, qui est un peu comme le métronome de l’écriture, la plume est libre d’impulser le rythme du discours lui-même : choisir les moments d’accélération et d’amplification, à l’inverse ceux de pause, ceux sur lesquels on souhaite faire monter l’émotion ou la tension, ceux sur lesquels on cherchez à faire applaudir l’orateur, … Le dynamisme du texte aura clairement un impact sur l’écoute du public, et sur ce qu’il en retiendra.

On s’amuse ainsi avec le public, dont on espère que l’écoute sera un peu moins monotone, un peu moins longue. Comme le discours est fait pour être écouté, parfois de mauvaise grâce, le rythme est essentiel pour conserver l’attention du public. D’où la nécessité de le travailler, de l’anticiper, en particulier quand il s’agit d’un discours intégralement rédigé. Il en est tout autant d’un texte destiné à être lu : sans prétendre faire de la poésie, si le texte est agréable à lire, c’est aussi parce que les mots y trouvent une musique propre. Et c’est là justement que la musique est utile, en tout cas pour moi.

Tous ceux pour lesquels j’écris n’ont pas forcément mes goûts musicaux, et je ne parle pas forcément avec eux de mes influences. Mais ils sont tous fans de rythme, ou du moins ils en cherchent. Et pour peu que celui que je leur propose leur convienne, peu leur importe qu’il s’inspire de la Mélodie du Bonheur ou de Requiem pour un con. Alors je ne prive pas de leur mettre des assonances et des alitérations, des envolées soudaines, non pas lyriques, mais rythmiques, des énumérations paradoxales, des phrases ciselées comme si je boxais avec les mots, tout ça sur un son brisé de trompette, une basse rythmique et un piano qui chante.

Aucune prétention dans mon propos : j’ai bien conscience que la « musicalité » que je peux essayer de mettre dans un discours ou un texte n’en fera jamais autre chose qu’un texte « utilitaire ». Ce n’est pas vain pour autant. Quand on prend 10 ou 15 minutes de temps à quelques centaines ou quelques milliers de personne, qu’on ne sait pas s’ils accrocheront tous au sujet, on essaie au moins de les appâter par la forme. Et comme pour un film dont on ignore si le scenario ou les acteurs plairont, on mise tout sur la BO.

Ce texte avait été publié il y a deux ans dans une version légèrement différente sur le site de La Guilde des Plumes. L’écriture est souvent affaire de relecture et de reprise.