Discours de candidature : dire c’est être ?

Depuis l’été, les discours de candidature ou de non-candidature se multiplient ou se font attendre. Dans tous les cas, la prise de parole est épiée, sacralisée et ritualisée car elle fait basculer du statut de personnalité politique à celui de candidat. Pourtant, les discours eux-mêmes sont souvent oubliés et la force de performativité de ces allocutions est généralement occultée.

Coluche pendant sa candidature à la Présidence de la République en 1981. © Getty / DENIZE Alain / Sygma

Dans l’année qui précède le moment fatidique du passage aux urnes, les annonces de candidature sont toujours attendues, largement suivies et maintes fois commentées. Certains iront au bout, d’autres se retireront faute d’écho médiatique, d’obtention des signatures ou d’investiture de leur formation politique. Même si ces discours d’annonce restent rarement dans les annales, il n’est pas inutile de s’interroger sur leur construction et leur place dans le processus d’entrée en campagne, au-delà même du choix des mots et du propos. Il s’agit toujours de discours réfléchis, ritualisés et performatifs.

Loin d’être une parole libre et légère, le discours de candidature est une « sortie du placard » pour le candidat ou la candidate qui se révèle. Pour cette raison, la mise en scène des discours est un élément clé du processus de candidature. Les candidats qui veulent se révéler mettent le plus grand soin à choisir le moment et l’endroit les plus opportuns pour s’annoncer, car le discours comme son cadre ont des effets sur les comportements et provoquent des réactions.

Le discours : rite de passage ou exercice de style ?

Anne Hidalgo a ainsi annoncé sa candidature depuis les quais de Seine à Rouen. On y décèle une volonté de se forger une image pour la campagne présidentielle, qui passe d’abord par une déparisianisation, tout en mettant la lumière sur des mesures prises en tant que maire de Paris, par un clin d’œil à l’Axe-Seine et HAROPA. De plus, elle utilise sa présence à Rouen, ville dont Nicolas Mayer-Rossignol a récemment été élu maire, pour mettre en avant l’équipe de maires de France qui l’entoure pour la campagne.

Sur le fond également, la désormais candidate Hidalgo crée son personnage de campagne : ses premiers mots nous plongent dans le récit d’une enfance passée en Espagne, avant une arrivée en France, pays dont elle a adopté la nationalité. Cette mise en scène de soi, jouant sur son histoire personnelle, contribue à dire autre chose que seulement annoncer sa candidature. Il y a derrière cette méthode une affirmation de sa légitimité à être candidate, comme une justification aux annonces qui suivent : sa candidature et l’esquisse de grandes idées de sa campagne ainsi lancée.

Valérie Pécresse, quant à elle, a d’abord annoncé sa candidature dans un entretien au Figaro, évitant l’exercice du discours, lui préférant une déclaration écrite qui s’adresse d’abord à son électorat. Elle confirmera sa candidature le soir même sur le plateau du JT de 20 heures de TF1 en s’adressant à un public plus large.

Ces discours sont parfois la simple confirmation d’annonces antérieures, comme par exemple le discours du 12 septembre 2021 par lequel Marine Le Pen lance véritablement sa campagne. Dès janvier 2020, lors de ses vœux à la presse, elle précisait déjà qu’elle serait candidate à la présidentielle, et confirmait sa candidature le 9 avril, lors d’une conférence de presse pendant les élections régionales.

« Les choses murmurent déjà un sens que notre langage n’a plus qu’à faire lever »

Michel FOUCAULT, L’Ordre du discours, 1970

Quelles que soient les circonstances, le discours est toujours l’aboutissement d’une identification de soi par soi, et la mise en mots de cette identification pour les auditeurs. Avant de vouloir et pouvoir assumer le propos, d’abord faut-il être candidat bien-sûr, l’avoir accepté, et souhaiter le revendiquer. Ce qui conduit parfois à cet exercice surprenant de la déclaration de non-candidature, sur lequel on reviendra.

La formulation d’une vérité intérieure permet ainsi la mise en cohérence d’un soi interne et d’un soi social. Un auto-étiquetage didactique nécessaire, attendu par les observateurs de la vie politique, largement commenté dans les médias dès sa prononciation, qui fait ainsi apparaître un étiquetage social. Se qualifier comme tel transforme l’individu en candidat politique.

Pourtant, l’annonce d’une candidature ne suffit pas forcément à faire de la personnalité qui le prononce un candidat. C’est particulièrement vrai lorsque se tiennent des primaires, qui ont justement pour but de définir le candidat ou la candidate d’une formation politique.

De l’importance du contexte d’énonciation dans la projection comme candidat

Selon le contexte de désignation des candidats, l’histoire personnelle qui est mise en avant, la construction du discours, et la stratégie de campagne ne sont plus les mêmes. Pour certaines candidatures, le discours portera davantage sur la personne et sa légitimité à être candidat ; pour d’autres, le discours portera sur la candidature elle-même et la légitimité à gouverner.

Le discours de septembre 2021 de Marine Le Pen l’illustre bien : cette dernière évacue complètement l’annonce de candidature, déjà faite précédemment, comme une formalité. La candidate du RN – qui ne se désigne jamais ainsi – peut dès lors se concentrer sur l’étape suivante : la projection vers sa légitimité à être élue, en s’imaginant déjà « Présidente de la République ».

A l’inverse, Valérie Pécresse se projette moins loin. Sa campagne est double. Dans le corps du texte qui annonce sa candidature, elle se projette partiellement dans l’élection présidentielle, tout en faisant de la primaire – étape décisive dans son chemin de candidate – sa priorité.

Anne Hidalgo, quant à elle, a lancé sa campagne hors des primaires socialistes, capitalisant sur sa personnalité et son statut de maire de Paris. Face aux multiples candidats potentiels, celle qui entend se projeter comme légitime aux fonctions présidentielles doit néanmoins d’abord affirmer sa légitimité à être candidate pour la gauche. L‘enjeu pour 2022 est de rassembler. Voir le premier tour de l’élection jouer le rôle de primaire à gauche, c’est prendre le risque d’une dispersion des votes, et donc d’une absence de la gauche au second tour. L’investiture officielle d’Anne Hidalgo par le PS, le 14 octobre, lui permet donc de se projeter enfin pleinement dans la campagne pour les présidentielles, et de ne plus mener une double campagne, fût-elle officieuse.

Non-discours de candidature et discours de non-candidature

Si certains candidats affirment ou confirment spontanément leur participation à l’élection présidentielle, d’autres personnalités laissent planer le doute et refusent de se prononcer, alors même que leur candidature est déjà quasi certaine et que leur campagne est ou parait déjà lancée. A l’inverse, d’autres personnalités dont la présence médiatique est importante, et qui pourraient avoir une posture de candidat, y renoncent officiellement.

Emmanuel Macron, président sortant, est dans le premier cas. Tirant parti de sa fonction et de son statut pour faire campagne sans même se déclarer candidat, il se place ainsi « au-dessus de la mêlée » (Le Monde, 14/10/2021), utilisant et renforçant sa posture présidentielle. Tirant parti de son statut médiatique, Éric Zemmour utilise le même type de stratégie. Il parvient à occuper une grande partie du débat public, et impose à l’heure actuelle ses thèmes de campagne. En agissant de la même manière que le président sortant, Éric Zemmour se positionne, d’une certaine manière, comme son challenger naturel, reléguant les candidats déclarés à un rôle subalterne. La stratégie a naturellement ses limites, mais elle souligne l’importance du moment de l’annonce.

Emmanuel Macron comme Éric Zemmour, surfant sur l’ambiguïté due au non-discours de candidature, profitent de la visibilité offerte par les médias sans avoir à subir les contraintes qui incombent aux candidats déclarés.

Quant à Benoit Hamon, candidat en 2017, ou Christiane Taubira, dont la candidature était espérée par de nombreux citoyens ou responsables politiques, ils ont pris la parole pour y renoncer définitivement. Nous sommes alors face au second cas et assistons à des « discours de non-candidature ». L’annonce par Edouard Philippe de son soutien à Emmanuel Macron poursuit le même objectif, et lui permet même de lancer son propre parti quelques semaines plus tard sans que cela ne soit vu comme un lancement de campagne. Les observateurs n’ont cependant pu s’empêcher d’y voir une manière de rester disponible en cas de non-candidature du président sortant.

Avant de l’avoir prononcé officiellement, un candidat politique n’en est pas encore un : c’est la force performative de la parole qui le fait basculer d’un état à l’autre. Pourtant, ce n’est que la première étape sur un long chemin de campagne, pour parvenir à justifier de sa légitimité à être candidat, puis de sa légitimité, en tant que candidat, à remporter l’élection convoitée. Un chemin qui sera fait d’autres discours, que nous aurons l’occasion de décrypter de temps à autres.