Alice et le Maire : écrire avec ou penser pour ?

Lyon, un soir d’octobre 2019. Je traverse la place de l’Hôtel de Ville et jette un regard vers les fenêtres de la Mairie. La lumière est encore allumée à de nombreuses fenêtres. Le maire ? Ses collaborateurs ? Un évènement organisé par la municipalité ? Qu’importe, je presse le pas. On m’attend au cinéma Lumière Terreaux à quelques mètres d’ici, sur l’avenue qui porte le nom d’un ancien Maire de la capitale de Gaules, pour aller voir Alice et le Maire. Drôle de sentiment que de vivre dans le décor dans lequel on vient de se plonger, surtout quand la réalisation rend autant justice à la ville qu’elle filme. Mais pourquoi donc vous en parler maintenant ? 

Au cours de discussions avec l’équipe de Calligramme, l’idée a émergé de lancer une série de publication sur la représentation de la politique dans le cinéma, sur ce qu’on peut y reconnaitre, y apprendre parfois. Je ne pouvais donc pas faire l’impasse sur le film de Nicolas Pariser.

Affiche du film Alice et le maire sur laquelle on visualise le maire (joué par Fabrice Luchini) murmurer à l'oreille de sa collaboratrice (jouée par Anaïs Demoustier).

Le Maire de Lyon, Paul Théraneau (Fabrice Luchini) est las de 30 ans de vie politique, à court d’idée. Alice Heimann (Anaïs Demoustier), jeune normalienne diplômée en littérature (et philosophie ?) est engagée comme collaboratrice au sein de son cabinet, pour lui redonner de l’inspiration. 

Alice et le Maire, c’est ainsi la rencontre entre une jeune étudiante un peu perdue mais idéaliste et un vieux loup en politique qui n’a pas renié ses ambitions nationales mais qui manque de panache pour parvenir à les accomplir. Pour aider celui qui espère briguer un mandat présidentiel, sa collaboratrice discute avec lui de philosophie, de l’engagement, du progrès. C’est au passage une merveilleuse ode à la littérature, mais sans tomber dans le cliché du poète éthéré, puisque la réalité concrète de l’action n’est jamais très loin. Ainsi, les auteurs et les philosophes se font face avec les préceptes de la communication et du discours politiques. 

Dès le départ, le film questionne la possibilité de diriger sans idées, ou du moins sans idées nouvelles. Pour y répondre, le réalisateur s’attache à étudier les ressorts intimes de l’engagement politique – les idées, les ambitions – au-delà des questions de lutte de pouvoir, d’opposition ou de querelle, et des logiques partisanes – même si celles-ci sont présentes en toile de fond. Montrer la politique pour ce qu’elle est : un combat d’idées, en soi et avec soi, puis dans le débat public. 

Ce qui m’a marquée, c’est aussi le parcours de la jeune Alice, que rien ne destinait à travailler en politique. Quand je découvrais ce film, je sortais moi-même d’une expérience de plusieurs mois au sein d’un cabinet d’élu, ma première en collaboration politique. Je m’y suis donc en partie reconnue, car on y suit le cheminement de la protagoniste dans cet univers particulier et souvent intriguant de l’exercice du pouvoir, on découvre avec elle l’envers du décor et ses codes. Cela fait également écho à l’anecdote de l’arrivée à l’Élysée de Sophie Wallon, plume du Président de la République, racontée lors de la conférence annuelle de la Guilde des Plumes : elle se retrouvait, dès les premiers jours de sa prise de fonction, à devoir rédiger des « EDL TTTU » (comprendre des « éléments de langage très très très urgents ») alors qu’elle ne maîtrisait pas encore le jargon. 

Le travail de plume, mis ici en scène, c’est faire la balance entre le fond et la forme, l’objectif final et l’ambition. Le film lui-même réalise cet exercice en donnant à voir à la fois le travail quotidien, la com’ et la politique politicienne dans une réalisation rythmée qui fait la part belle aux vues de Lyon et les longues scènes d’échanges entre les personnages, où chaque dialogue est finement écrit. 

Ce film résonne bien avec les expériences des collaborateurs d’élus, des plumes, des conseillers politiques non fictifs, qui y reconnaissent leur quotidien : la gestion des affaires courantes, mais aussi des crises et urgences, les querelles personnelles ou politiques, autant que les idées, les valeurs qui guident l’action publique, la relation personnelle entre l’élu et celui qui travaille pour lui… Ceux qui font ce métier vous diront que la diversité des missions et les multiples compétences qu’elles demandent font sa spécificité – de l’organisation d’évènements à l’écriture de discours en passant par le conseil au dirigeant. Ce film a su mettre en lumière ces acteurs de la vie publique, y compris ceux de l’ombre, sans tourner au voyeurisme ou à la caricature. 

Sans vouloir révéler la fin, on y trouve une des scènes les plus marquantes avec l’écriture d’un discours qui pourrait bien changer le destin des deux protagonistes. Cette scène est essentielle car elle célèbre le métier de plume. En effet, Alice est chargée d’aider Théraneau à écrire un discours, qu’ils rédigent donc à quatre mains, chacun y mettant de soi. Sur le fond, il s’agit de défendre les idées du Maire, qui va les prononcer, mais elles se nourrissent grandement des échanges avec sa collaboratrice. Sur la forme, c’est Alice qui guide la plume mais dans le but de coller au style de l’orateur. Au fond, écrire pour quelqu’un d’autre c’est toujours un peu cela : un travail d’équipe au service du texte et de celui qui le porte, seul, devant l’auditoire.