Les 7 textes de Louise

A son tour, Louise se prête à l’exercice des 7 textes, pour vous parler d’elle et de ses influences. Il y est question du rapport intime qu’on entretient avec les textes, allant parfois jusqu’au rapport charnel avec les objets qui les renferment, mais aussi de musique, d’image. Il y est question de souvenirs de l’enfance, des territoires et de la façon dont on les aborde – la mer et l’eau, par exemple, entre théâtre, poésie et géographie –, des personnages qui nous ont marqués et de la mémoire que l’on en garde.


Les Antigone de Sophocle et de Jean Anouilh

Antigone m’a très tôt bouleversée. Mes multiples lectures et relectures de cette pièce – probablement le texte que j’ai le plus lu dans ma vie – m’ont accompagnées souvent. Très tôt, alors que je ne savais pas encore y mettre les mots, j’y ai vu une figure féministe – pas celle d’un étendard, mais celle d’un personnage féminin complexe : militante, déterminée voire résolue à aller au bout de son idée, mue par un désir de justice – dans laquelle je me suis reconnue peut-être. 

La découverte de la version de Jean Anouilh a bouleversé l’image que je me faisais du théâtre. Elle m’a guidée vers la version de Sophocle et le plaisir de lire des auteurs antiques. J’y ai vu aussi le témoignage de la force de l’histoire, entre la narration des sentiments humains éternels et leur réinterprétation au regard des éléments de contexte – car la pièce de Jean Anouilh a beaucoup fait parler, interprétée comme le symbole de tout et son contraire, preuve que les mots ont le pouvoir de bousculer les émotions et faire réagir, de tous temps. 

Si je ne devais plus lire qu’un texte pour le reste de ma vie ce serait probablement celui-ci, quelle que soit la version.

« Comprendre… Vous n’avez que ce mot-là dans la bouche, tous, depuis que je suis toute petite. Il fallait comprendre qu’on ne peut pas toucher à l’eau, à la belle et fuyante eau froide parce que cela mouille les dalles, à la terre parce que cela tache les robes. Il fallait comprendre qu’on ne doit pas manger tout à la fois, donner tout ce qu’on a dans ses poches au mendiant qu’on rencontre, courir, courir dans le vent jusqu’à ce qu’on tombe par terre et boire quand on a chaud et se baigner quand il est trop tôt ou trop tard, mais pas juste quand on en a envie ! Comprendre. Toujours comprendre. Moi, je ne veux pas comprendre. Je comprendrai quand je serai vieille. Si je deviens vieille. Pas maintenant. »

Antigone, Jean Anouilh

Écrire – Nekfeu

Lorsqu’on écrit, on parle souvent de l’importance du rythme, de la musicalité du texte ; beaucoup d’ailleurs écrivent en musique. 

Personnellement, ce qui m’a toujours le plus touchée, c’est la capacité des mots eux-mêmes – par leur enchaînement et leur prononciation alternée à des silences – à créer du rythme et de la musique. Le meilleur instrument, la plus belle mélodie restera toujours à mes yeux celle des mots qui se suffisent à eux-mêmes, et que la musique ne vient que sublimer. 

Et quand un héritier du rap et du slam propose un texte sur l’écriture, il ne reste plus qu’à enfiler ses écouteurs et se laisser porter.

Les larmes de l’assassin – Anne-Laure Bondoux

Emprunté à la bibliothèque de mon village lorsque j’étais enfant, ce roman jeunesse a bouleversé mon rapport au livre : l’histoire fut la source des premières grandes émotions provoquées par la lecture et mon rapport à l’objet livresque lui-même a alors changé. 

A partir du moment où je l’ai emprunté à la bibliothèque municipale de mon village, je ne suis pas parvenue à quitter ce roman, devenu mon compagnon de voyage jusqu’à la fin de ma période d’emprunt où je dû le rendre. Des années plus tard, alors que j’hésite régulièrement à le relire, je n’ai jamais franchi le pas de me l’acheter, alors que je tiens généralement à posséder les livres que j’ai lu ou que j’aimerais lire, comme pour garder une trace des mots qui m’ont un jour accompagnée. 

Extrait de la bande dessinée (BD) Les Larmes de l'assassin de Thierry Murat, librement inspirée du roman éponyme d'Anne-Laure Bondoux. On y voit deux vignettes de paysages désertiques du Chili et le texte "Sur cette terre malmenée par le vent, même les pires semblaient souffrir", citation du roman qui introduit le récit au début du livre.
Extrait de la BD de Thierry Murat, librement inspirée du roman d’Anne-Laure Bondoux

La géographie ça sert, d’abord, à faire la guerre – Yves Lacoste

La géographie, ça sert, d'abord, à faire la guerre - Yves Lacoste |  Cairn.info
Il s'agit de la couverture de l'ouvrage paru aux éditions La Découverte en 2012 dans une réédition augmentée par l'auteur lui-même qui commente son texte des années plus tard et le complète au regard des évolutions du contexte et de son cheminement intellectuel sur le rôle de la géographie et de la géopolitique

Au-delà de l’intérêt que j’ai eu à lire son essai sur l’épistémologie de la géographie, plaidoyer pour la géopolitique, le choix du titre m’a toujours interpellée. J’ai adoré pouvoir le décortiquer à travers les mots de l’auteur lui-même dans sa réédition de 2012. Une édition longuement commentée, amendée, actualisée, qui témoigne de la pertinence de son essai des décennies après sa première édition – en 1976. Il y revient sur la définition du titre pour détailler jusqu’au choix de la ponctuation, justifiant de chaque virgule comme ayant été longuement réfléchie et bien choisie.  

Ce livre m’a aussi permis d’appréhender cette discipline – et ses figures, de Paul Vidal de la Blache à Élisée Reclus – que j’avais longtemps boudée, au profit de l’histoire qui me passionnait davantage, offrant l’illustration parfaite à la démonstration faite par l’auteur : l’école nous enseigne à tort qu’il s’agit de deux disciplines distinctes, décorrélées.

Les Fleurs du Mal – Baudelaire

Incapable de ne choisir qu’un poème dans le recueil, Les Fleurs du mal est pour moi le contre-exemple ultime de mon expérience des lectures obligatoires : j’étais jusqu’alors convaincue qu’on ne pouvait pas apprécier un texte qu’on nous forçait à lire. Je confesse d’ailleurs que je fais partie de ceux qui ne les lisait qu’en diagonale, pour y préférer des lectures personnelles librement choisies. Mais Baudelaire, par ce recueil, au programme du bac, a unanimement conquis toute notre classe et conserve une bonne place dans ma bibliothèque.

J’ai même le souvenir d’avoir apprécié créer mon propre recueil de quelques poèmes extraits des Fleurs du Mal – exercice là aussi imposé – où je m’étais amusée à collecter et commenter les œuvres de Baudelaire évoquant la Mer : L’Albatros, Mœsta et errabunda, La Vie antérieure, Le Voyage

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté. »

L’Invitation au voyage, Charles Baudelaire

Transsibérien – Dominique Fernandez

Ce récit de voyage, acheté sur un coup de tête dans une librairie quelques mois avant mon départ pour la Russie, ne m’avait d’abord pas convaincue. Il avait très vite été laissé à l’abandon parmi la pile de livre à achever sur ma table de nuit.

Seule la promesse de l’auteur continuait de régulièrement titiller ma curiosité, m’empêchant de le ranger parmi les livres que je ne lirai probablement pas : « Ce récit, je m’en excuse, sera farci de lectures et relectures ». Son évocation de nombreux auteurs, évoquant de près ou de loin la Russie, m’avait poussée à tout de même glisser l’ouvrage dans ma valise – au cas où

Ce n’est finalement qu’une fois installée moi-même dans un de ces trains-couchettes typiques à l’occasion d’une excursion hors de Moscou que j’ai pu m’y plonger et prendre plaisir à le lire.

« Si le bagne a disparu, le train vers la Sibérie reste un supplice pour cette plèbe accablée par la puanteur, la touffeur, la fournaise de ces wagons où chacun ne dispose que d’un mètre carré sans aération. »

Habituellement, tout l’intérêt de cette littérature est plutôt de nous faire voyager sans partir. J’y ai plutôt trouvé les mots qui me manquaient pour qualifier l’expérience que je vivais, les paysages que j’admirais au détour de mes propres voyages en train.

C’est d’ailleurs probablement à cette occasion que j’ai découvert que ma plume ne s’agitait jamais autant que dans un train – capable de nous transporter en garantissant un confort suffisant pour l’écriture.

Transsibérien fait, pour moi, partie de ces livres dont on écorne les pages pour retenir quelques citations, quelques expressions bien choisies, pour les retrouver quelquefois.

« Un pays où s’unissent, dans un contraste d’énergies stimulant, la joie de vivre, la dévotion aux poètes et le souvenir de la tragédie. »

Vivian Maier : (auto)portraits

Parce que les autres membres de l’équipe se sont permis quelques libertés avec l’exercice, je triche à mon tour puisqu’il ne s’agit pas de texte. Encore que je pourrais me défendre en disant que la photo-graphie, c’est de l’écriture !

J’admire particulièrement son travail, et m’y reconnait d’une certaine manière, en particulier pour cette manière qu’elle a de se placer en sujet, sans pour autant se montrer vraiment. Chacun de ses autoportraits, toujours énigmatique, est comme un prétexte pour montrer le monde et la société qui l’entourent. Comme pour assumer qu’il s’agit de son propre regard sur ce qu’elle nous donne à montrer, ou pour justifier qu’elle fait partie du décor mais n’agit pas sur lui. 

Zoom Photographe : Vivian Maier
Autoportrait non daté de la photographe de rue dans un miroir porté par un homme qu le transporte. la photo en noir et blanc est prise au milieu des immeubles de brique typiques de New York City (NYC)
© Vivian Maier, Autoportrait, non daté