Ecrire pour l’autre – Introduction

« La parole est moitié à celui qui parle, moitié à celui qui écoute »

Montaigne, Essais, Livre III

Rien de plus banal qu’un discours, en soi : c’est la parole publique par laquelle un orateur tente de faire passer un message à un public, et transforme -par le choix de ses mots, de ses angles, ou par son talent oratoire- du sens en performance, des éléments factuels en vécu commun.

Lorsqu’on écrit un discours sans le dire soi-même, on peut bien sûr agir directement sur le sens. Mais la performance de l’orateur -et donc la réception du discours- dépendra de facteurs dont la maîtrise est beaucoup plus complexe, et sur lesquels l’auteur du texte n’a plus aucune prise dès lors que l’orateur a pris la parole. Dans la relation entre l’orateur et le public, le rédacteur est donc à la fois absent -car pur spectateur- et en première ligne -car le succès dépend en grande partie de son sens de l’anticipation.

Les spécificités de l’écriture pour autrui

Ecrire pour quelqu’un d’autre, c’est concevoir directement ce qui sera dit et fait, avec une exposition plus directe que dans la plupart des situations. Ce n’est pas pour autant une pure substitution, car c’est l’orateur qui prononcera le discours, en le modifiant si besoin, et seule sa performance sera jugée. Quand on écrit pour autrui, on doit donc éviter quelques pièges. L’écriture pour autrui élu recèle ainsi quelques pièges spécifiques, et quelques garanties.

Le premier piège, c’est d’écrire pour écrire. Ecrire pour écrire, par plaisir littéraire, en oubliant que le texte sera non pas examiné par un lecteur bienveillant et attentif, mais entendu, au mieux écouté, parfois au milieu d’autres discours, dans un contexte parfois compliqué, par des gens qui auront -ou non- des attentes particulières par rapport à ce discours. Il faut donc bien définir la fonction du discours que l’on écrit.

Le second piège, c’est de vouloir saisir l’occasion qui se présente pour faire passer le maximum d’informations au maximum de monde, et de faire de toute prise de parole un discours de politique générale. Il y a certes toujours plusieurs publics en un seul, mais on ne pourra faire passer que deux ou trois messages au maximum, et encore pas à toutes les personnes présentes. Il faut donc ciseler ce message, bien choisir ses angles et ses arguments.

Le troisième piège, à l’inverse, c’est de n’orienter le discours que vers l’événement, ou de se limiter à un message ponctuel ou technique, en ratant l’occasion de faire passer un message plus large : le programme de la mandature dans la ou les matières évoquées, une problématique émergente, un partenariat global,… Il faut donc concevoir chaque discours comme la partie d’un récit plus large, développé sur le moyen-long terme, avec des lignes saillantes que l’assistance pourra retenir et diffuser à son tour. Un bon discours, c’est celui à l’issue duquel chaque participant aura pu saisir en quelques minutes les grandes priorités, la méthode et le calendrier sur les problématiques abordées, et les objectifs politiques dans lesquels cela s’inscrit.

Si l’on évite ces pièges, tout discours est l’occasion de présenter le travail de la collectivité de manière structurée, avec de la matière préexistante et un temps de préparation suffisant pour s’extraire de la technicité et de l’urgence, et faire sortir les enjeux saillants. Ce temps est certes souvent contraint, mais un peu d’organisation permet d’anticiper les principales difficultés et de mettre à profit tout échange avec les services et toute discussion politique avec l’élu pour la préparation du -ou des- discours à venir.

En tant que collaborateur régulier, la plume peut d’ailleurs capitaliser sur cette relation pour construire dans la durée son style oratoire, ou du moins adapter l’outil à ses besoins -discours plus ou moins écrit, plus ou moins long, rythme, axes privilégiés. Les discours offrent également l’occasion régulière de préciser et de matérialiser la stratégie -politique et de communication- de l’élu, au service du récit politique évoqué plus haut.

Enfin, un discours a plusieurs vies : une fois prononcé, il pourra être repris dans la presse, sur les réseaux sociaux, sur le site de la collectivité ; sa structure et le fonds pourront servir de base pour la stratégie de communication sur le sujet ; certains éléments pourront même être réutilisés dans des discours à venir, afin d’assurer la cohérence et la lisibilité à moyen terme de la parole de l’élu ou de la collectivité. Le temps qui y aura été consacré sera donc d’autant moins du temps perdu.

Cadre et étapes de la rédaction d’un discours

Le temps manque souvent pour la rédaction d’un discours, en particulier en situation de crise. Dans la mesure du possible, il faut donc veiller à se laisser un peu de temps ou à anticiper le plus possible, en ayant une base d’éléments de langage prêts sur les principaux sujets, notamment pour les situations d’urgence. Il faut également, avant de commencer à rédiger, prendre la distance nécessaire pour s’assurer que le discours que vous concevez répond bien à l’ensemble des besoins : ceux de l’orateur bien sûr, mais également ceux du public -et de l’organisateur.

Pour répondre à ces besoins, il faut identifier et maîtriser trois types d’éléments.

Des éléments extérieurs, qui tiennent à l’environnement du discours :

  • les conditions du discours :  public, format, reprise éventuelle ;
  • le contexte du discours : sujets brûlants, relations avec l’assistance, période du mandat ;
  • les contraintes : essentiellement le temps, de préparation comme de parole, et éventuellement la langue ou le cadre particulièrement technique de l’événement ;

Des éléments tenant à l’orateur lui-même :

  • ses enjeux : porter une annonce, établir un rapport de force, maintenir un rituel ;
  • ses positions : accord ou désaccord avec l’auditoire ou les autres orateurs, légitimité sur le sujet ;
  • ses habitudes : texte écrit ou éléments brefs, style et aisance à l’oral ;

Des éléments tenant au texte lui-même, à ce qu’il doit apporter à l’orateur pour répondre aux attentes de l’extérieur :

  • les arguments , en fonction des enjeux et des positions, qui détermineront le fond du discours ;
  • les ressources, en fonction des habitude et des conditions, qui détermineront la forme du discours.

L’ensemble de ces éléments interviennent à plusieurs moments dans la préparation d’un discours. Il convient de prendre une à une les étapes -un peu schématisées- de la rédaction d’un discours : le diagnostic, la définition du message, la rédaction d’un projet, le discours final, et son exploitation postérieure.