Simone, le voyage du siècle : histoire, histoires, Histoire
Quand on choisit d’écrire – ici un film – sur une histoire certes personnelle, mais aussi éminemment politique, on ne peut se contenter de raconter l’histoire à travers l’Histoire. Il faut dessiner un récit, et choisir le sens qu’on veut lui donner.
Juin 2017, toute la France apprend le décès de Simone Veil. J’ai alors 17 ans. Bien sûr, je connais son nom. Il m’évoque vaguement un lien avec le droit à l’avortement et quelques cours d’histoire, mais pas beaucoup plus. Ce que j’en sais, à travers le récit de ceux qui l’ont connue lorsqu’elle était encore active en politique – mes grands-parents et mes parents- c’est que moi, et toutes les jeunes filles de mon époque, nous lui devons le droit à disposer de nos corps.
Cinq ans plus tard, en sortant du métro, je tombe nez à nez avec l’affiche d’un nouveau film. En gros plan, Elsa Zylberstein, tellement grimée que je ne la reconnais pas tout de suite, le regard au loin, et un titre que je ne comprends pas bien : « Simone, le voyage du siècle ».
Derrière le traumatisme des camps et la loi qui a marqué des générations de femmes, il doit bien y avoir d’autres fragments de vie à découvrir. Comment devient-on une des personnalités politiques les plus importantes de son époque, quand on est l’une des seules femmes dans l’hémicycle ? Comment faire des études et comment imposer une autre vie que celle de femme au foyer, quand ces situations sont loin d’être la norme ?
Comment parler d’un film qui nous a déçu, quand on aurait aimé que ce soit le meilleur film de l’année ?
Le film n’a pas vraiment répondu à mes questions. Bien sûr, ces thèmes y sont évoqués. Tout le problème est là : ils ne sont qu’évoqués. Je me souviens d’une scène de dispute entre Simone Veil et son mari, parce qu’elle souhaite travailler après avoir mis entre parenthèse sa propre carrière pour que lui puisse avoir la sienne. Comme s’il était évident qu’elle parviendrait à faire carrière, destinée à devenir le symbole qu’elle est aujourd’hui.
Pourtant, on sait à quel point la misogynie de l’époque, en particulier dans le monde de la magistrature, a certainement dû compliquer ses plans. Une brève scène le montre, où on lui demande si elle sait taper à la machine alors qu’elle débute justement comme magistrate. Mais le sujet n’est qu’effleuré, alors que la place des femmes dans un monde d’hommes est au cœur de ses projets et de ses engagements.
Le passage sur le projet de loi Veil et sur son investissement politique en général paraît d’ailleurs minime par rapport aux autres thèmes abordés au long des 2h30 que dure le film. Et si on y voit ses doutes, ils sont très vite balayés par l’argument : “tu es Simone Veil, tu ne peux que réussir”.
Les opposants à sa politique sont presque absents : quelques passages d’accrochage avec le FN, qui sont d’ailleurs eux aussi rapportés à son passé à Birkenau, mais rien sur les autres partis, même sur la loi de 1975, ce qui masque la dimension révolutionnaire et avant-gardiste du projet et de ses convictions.
Tisser le récit qui lie l’histoire à l’Histoire
Au-delà de sa carrière politique, le film dépeint aussi sa vie privée, et particulièrement son enfance, mais sans choisir d’angle. Retracer sa carrière ? Dépeindre l’horreur des camps et montrer que l’on s’en sort ? Montrer le combat d’une femme pour être indépendante et vivre comme elle l’entend ? Le film déroule son fil narratif comme on compilerait des anecdotes, sautant de flashback à moments présents.
Avec du recul, l’omission de son nom de famille dans le titre du film souligne cette volonté de mettre en avant la femme plutôt que la personnalité publique.
En toile de fond, pendant au moins la moitié du film, on nous montre sa vie dans les camps, lorsqu’elle avait 16 ans. Ces scènes sont coupées par quelques retours à la vie après la guerre, ses études, son mariage, sa carrière, son succès …
A travers cette organisation chronologique et ce choix -ou ce non-choix- de récit, tout semble toujours revenir au passé de Birkenau, comme si tout le reste de sa vie y trouvait sa justification. Pourtant, dans l’autobiographie dont le film s’inspire largement, seules deux parties assez courtes sont consacrées aux camps, et le récit se fait de façon chronologique.
Ce lien entre le parcours de vie et les engagements politiques en devient caricatural. Comme si tous ses choix et convictions ne se justifiaient que par le traumatisme des camps. Comme si elle ne pouvait que réussir, parce qu’elle avait une revanche à prendre sur la vie. C’est peut-être en partie vrai. Mais à l’écran, Simone Veil devient une survivante qui fait de la politique, et pas une femme politique qui a survécu.