49-3 : le Sénat au centre du jeu ?
Tout juste arrivé chez Calligramme, Béranger Perrier, passé entre autres par le Sénat, s’interroge sur la manière dont la Chambre haute, qui reste elle à l’abri du 49-3, va se saisir de son nouveau rôle dans un paysage politique inédit.
De son conservatisme à son inutilité présumée en passant par son coût jugé exorbitant, le Sénat ne manque pas de contempteurs. Souvent relégué au second plan de la vie politique et médiatique, on pouvait s’attendre à un inespéré retour sur le devant de la scène à la faveur du contexte inédit dans lequel s’ouvrait le second mandat d’Emmanuel Macron.
Dépourvu de majorité absolue à l’Assemblée nationale à la suite des élections législatives de juin dernier, une première depuis l’inversion du calendrier électoral, l’exécutif est contraint de composer avec un Sénat dominé par la droite et le centre pour faire aboutir ses textes. Chose loin d’être aisée quand on se souvient des relations conflictuelles entre les membres du Palais du Luxembourg et le chef de l’Etat lors du précédent quinquennat, dont l’acmé fut sans nul doute la commission d’enquête sur « l’affaire Benalla » à l’été 2018.
Une nouvelle méthode ?
Dès juillet, les membres du gouvernement, la première ministre en tête, avaient promis aux sénateurs « une nouvelle méthode » afin d’engager un rapprochement. Anticipant les nombreux obstacles à surmonter avant de trouver des convergences dans le tumulte de l’Assemblée nationale, Elisabeth Borne misait sur la culture du compromis du Sénat pour sortir de l’impasse créée par l’absence de majorité au Palais-Bourbon.
Si cette nouvelle configuration renforce considérablement le poids du Sénat, elle profite surtout au parti Les Républicains (LR). La droite, en effet, est désormais majoritaire en commission mixte paritaire (CMP), cette instance cruciale réunissant 7 députés et 7 sénateurs qui permet de faire émerger un compromis lorsque aucun texte commun n’a pu être adopté à l’issue de la navette parlementaire. Dans les faits, LR dispose de 5 représentants grâce à l’appui de son allié Union centriste contre 4 pour la majorité présidentielle, les 5 places restantes étant partagées entre les autres formations d’opposition.
Forts de cette position stratégique, les parlementaires LR entendent profiter de leur avantage pour avancer leurs pions, qu’il s’agisse de l’assurance-chômage, de la réforme des retraites, de l’immigration, sans parler naturellement des questions relatives aux collectivités territoriales.
« Au Sénat, il n’y a pas de 49-3 »
L’examen du projet de loi de finances 2023 agit ainsi comme un premier révélateur. Malgré le recours du gouvernement à l’article 49-3 de la Constitution sur un texte lui-même expurgé de nombreux amendements adoptés en séance, les sénateurs auront tout le loisir de l’amender avant qu’il ne revienne devant l’Assemblée.
Quelle sera alors la conduite du gouvernement ? Parviendra-t-il à entériner sa « nouvelle méthode » en soutenant des amendements venus notamment des rangs LR ou contournera-t-il le dialogue au risque de crisper davantage les oppositions ?
Les prochaines semaines permettront d’y voir plus clair. Mais déjà, les différents acteurs font entendre leur propre son de cloche. Dès le lendemain de l’annonce, Gérard Larcher, président du Sénat, soulignait, non sans malice, qu’« au Sénat, il n’y a pas de 49-3 » tandis que le président du Comité des finances locales, André Laignel appelait « tous les membres de la chambre des territoires à peser de tout leur poids pour infléchir sensiblement la copie du gouvernement ».
Reste une donnée essentielle, susceptible de rebattre les cartes du jeu politique et d’influer sur les attitudes des uns et des autres : l’état de l’opinion publique, dont l’abstention massive aux dernières élections rappelle l’état de lassitude, voire de sécession civique. Le Sénat peut tirer avantage de son lien privilégié aux territoires, mais les enjeux sont multiples : entre l’inflation, le plafonnement des salaires, les difficultés d’approvisionnement énergétique et une réforme des retraites qui se profile, les débats budgétaires se déroulent dans un climat encore plus inflammable que celui qui a conduit à la crise des gilets jaunes.