C’est l’histoire d’un discours – Episode 1
Chers camarades!
C’est l’histoire d’un discours qui ne sera jamais prononcé : celui d’une fonctionnaire soviétique, stalinienne zélée à une époque où c’était déjà moins la mode, à qui on souffle les mots par lesquels elle doit justifier les tirs contre la population civile, alors même qu’elle s’inquiète pour sa propre fille, dont elle craint sans en être sûre qu’elle soit parmi les victimes.
C’est l’histoire d’un discours qui ne sera pas écouté : celui du gouverneur local, marionnette d’un pouvoir déjà usé, qui pense pourtant que ses quelques paroles milles fois entendues suffiront à calmer un peuple qui a faim, qui veut encore croire en ses gouvernants, mais ne comprend pas ses décisions absurdes. Un peuple qui croit encore que l’on ne tirera pas sur lui, et qui le paiera cher.
C’est l’histoire d’un discours qui ne sera pas montré, mais dont on parle tout au long du film : celui de Kroutchev au XXe congrès du Parti communiste, par lequel il condamne les crimes commis sous Staline, ce qui lui vaut les louanges de certains, les critiques d’autres, et n’empêchera pas ses envoyés d’en faire de même.
C’est l’histoire d’un cinéma qui n’est plus, en noir et blanc, plans séquences et 1 : 1.33. Un cinéma qui ressemble à du théâtre, fait de huis clos et de foules. Un cinéma qui était la continuité du discours politique par d’autres moyens.
Chers camarades, dès son titre, nous parle de discours, et pas seulement des discours d’avant. Il nous met face à leurs ressorts, face à leurs effets, face aux certitudes et aux hésitations de ceux qui les prononcent, de ceux qui les écoutent. Bien sûr, les discours ont changé. On y croit moins, ou autrement. La prise de parole du dirigeant, du représentant, est plus morcelée, moins ritualisée. Mais on retrouve toujours les mêmes ressorts, les mêmes effets, les mêmes certitudes, les mêmes hésitations. Au-delà du noir et blanc, des plans séquences et du 1 : 1.33.
Chers camarades!, un film russe d’Andreï Kontchalovski, sorti en 2020.