C’est l’histoire d’un discours – Episode 2 : Una rosa blanca
Cultivo una rosa blanca en junio como en enero para el amigo sincero que me da su mano franca.
Y para el cruel que me arranca el corazon con que vivo, cardo ni ortiga cultivo; cultivo la rosa blanca.
José Marti, Versos sencillos, 1891
C’est l’histoire d’un discours. Un discours prononcé par un orateur iconique, dont la voix, le rythme et les références entretiennent des liens profonds avec la musique. Un discours prononcé à Cuba, en mars 2016, par le premier président américain à s’y rendre depuis 80 ans. Un discours où il est question de dialogue et de culture. Un discours où il cite un poète cubain, Jose Marti, dont la rosa blanca est un cadeau offert à ses amis comme à ses ennemis. C’est l’histoire d’un beau discours, donc, et d’une belle citation.
C’est l’histoire d’un morceau construit comme un discours. Un morceau qui commence de manière un peu timide, avec quelques notes de trompette et de piano. Une trompette qui expose son thème, qui s’affirme avec la montée progressive des cuivres, et l’effacement du piano. Une trompette à quart de ton, qui introduit dans un jazz assez classique des notes d’Orient. Un morceau dont le thème pourrait lasser un peu, à la longue, mais qu’une voix vient sauver. Une voix profonde, dont la musicalité répond aux quelques notes de piano et de trompette qui l’accompagnent. Une voix qui parle de dialogue et de culture. Une voix qui laisse la place à un morceau transformé, où la trompette s’efface aussi pour laisser le piano donner le ton, donner le rythme, latin, libre, que semblait lui suggérer la voix. Un piano qui s’efface à son tour, sans que ne disparaisse le rythme, porté par des percussions aussi libres que lui. Puis revient le thème principal, plus tout à fait le même qu’au départ, comme portant encore en lui le souvenir de cette référence latine.
C’est l’histoire d’une citation réussie. Une citation où le « cité » cite lui-même quelqu’un d’autre. Une citation qui n’est pas là pour faire joli, même si sa musicalité s’inscrit dans un rythme d’ensemble, mais pour apporter du sens. On ne peut s’empêcher de penser qu’Ibrahim Maalouf, musicien français d’origine libanaise, formidable passeur entre les styles musicaux et les cultures, accorde un sens précis à ce qu’une fleur et un poème soient des cadeaux offerts à ses amis comme à ses ennemis. Une citation qui est aussi une transition entre une première partie sage, raisonnable, et une deuxième partie où le même thème est traité de manière beaucoup plus libre, beaucoup plus vive.
« Cette musique est un hommage à ceux qui savent faire la paix en tendant la main à leurs ennemis d’hier, mais aussi une preuve par la musique que les cultures du monde sont toutes reliées par les 3 mêmes gènes : la mélodie, le rythme et les émotions. […] Mon espoir est que chaque personne qui écoutera Una Rosa Blanca, ou qui lira ce texte de José Martí, puisse être galvanisée par l’idée que rien n’est impossible. »
Ibrahim Maalouf
Una rosa blanca, c’est le premier morceau que je donne en exemple quand j’explique ce que mon écriture doit à la musique. Il y a peu de mots, mais ils sont bien choisis. Et ce qui compte, au-delà des mots et des références, c’est le rythme, les couleurs, les impressions que créent le texte, qu’il soit lu ou écouté.
Una rosa blanca, extrait de S3NS, Ibrahim Maalouf, 2019