Organiser sans structurer : comprendre la France insoumise
Force majeure du jeu politique, la France insoumise restait pourtant jusqu’à récemment un objet d’étude peu abordé par les chercheurs en sciences sociales. C’est pour répondre à cette “anomalie” que le laboratoire Arènes organisait à Rennes les journées d’études “Comprendre la France insoumise” les 17 et 18 novembre derniers.
La France insoumise est une entreprise politique souple, un mouvement “gazeux” qui se caractérise par l’absence de règles statutaires et par l’absence de strates intermédiaires entre la base militante et le sommet. Ses cadres voient en cette forme organisationnelle le meilleur rapport coûts-avantages politiques, qui leur permet de disposer d’une « machine de guerre » militante sans s’encombrer avec les contraintes intrapartisanes (congrès, courants internes, barons locaux).
Le Discord insoumis l’illustre bien. Cet espace numérique d’échange facilite l’auto-organisation militante, donnant une forte impression d’horizontalité. Pourtant, derrière une liberté apparente, ses membres restent dans l’impossibilité de peser sur les choix numériques des dirigeants.
Le fonctionnement militant, entre implicite et informel
Cette “inorganisation-organisée” a des implications très concrètes sur la structuration des milieux partisans, les trajectoires personnelles des militants et les rapports de force.
L’un des premiers effets de ce fonctionnement gazeux est l’insertion de l’implicite et de l’informel dans toutes les interactions militantes. En l’absence de toute règle écrite ou instance clairement définie, la progression dans le mouvement ne se fait pas par la conquête de fonctions internes, contrairement aux partis traditionnels. La notoriété et la visibilité sur les outils numériques -Discord, mais également Twitter et autres- sont des moyens privilégiés de « monter », comme l’ont souligné plusieurs intervenants.
De fait, seuls les individus ayant les “codes” parviennent à tirer leur épingle du jeu et à progresser au sein de la France insoumise, comme en atteste la forte représentation de personnes issues des filières de sciences politiques dans les rangs des militants comme des collaborateurs parlementaires.
Serait-ce cependant de nature à enrayer la stratégie de LFI de s’appuyer sur les milieux populaires pour accéder au pouvoir ?
C’est un point qui n’a pas fait l’objet de discussions lors de ces journées, et qui reste à éclaircir : l’ancrage dans les territoires populaires et/ou périphériques faiblement dotés en ressources militantes, étudiantes notamment, dans lesquels le mouvement des Gilets jaunes a rencontré un fort écho, ce qui a pu susciter chez certains l’envie de capter des aspirations sociales et territoriales, réactivant un certain imaginaire de la gauche.
Forces et faiblesses d’un mouvement gazeux
Un second aspect soulevé par les intervenants est d’ailleurs l’interprétation différentielle du modèle gazeux selon les groupes sociaux et les configurations territoriales. Les militants de Lille ne fonctionnent pas de la même manière que ceux de Saint-Denis. On peut donc supposer que des militants d’un territoire plus rural s’organisent eux aussi différemment.
Cette plasticité est indéniablement une force -chacun peut s’investir et investir le mouvement comme il l’entend- mais pourrait s’avérer une faiblesse dans les années qui viennent : dans ce flou organisationnel, le seul élément véritablement identifiable est la figure du chef – au niveau national comme au niveau local.
Quelle influence cela peut-il avoir lorsque la question de la retraite politique de celui-ci se pose, ou lorsqu’il se trouve au centre d’une affaire justifiant son retrait ? En d’autres termes, comment la “lutte des places” peut-elle s’organiser alors qu’aucune instance ni procédure internes n’existent pour l’arbitrer ?
Même si chaque organisation fonctionne différemment, ce colloque est riche d’enseignements sur les ressorts militants et démocratiques dans une époque où les partis et les institutions sont profondément questionnés.